par Raoul Marc JENNAR, chercheur altermondialiste
Par nature, l’altermondialisme est une forme nouvelle d’internationalisme dont la particularité par rapport aux quatre internationales qui l’ont précédé est de ne pas être soumis à un centre qui dicte la pensée et les actes. L’altermondialisme est en soi un rejet de la forme d’action proposée par le léninisme et pratiquée par les deux internationales qui s’en sont réclamés. Les altermondialistes récusent les organisations hiérarchiques pyramidales. Ils fonctionnent en réseaux. Avec une réelle efficacité pour mobiliser les opinions publiques illustrée par quelques victoires retentissantes sur des dossiers très souvent délaissés par les gauches socialistes ou léninistes : l’abandon de l’AMI (voir ci-dessous), le retrait de la plainte introduite par 39 multinationales pharmaceutiques contre le gouvernement sud-africain, la prise de conscience des dangers des OGM, la prise de conscience des dangers du réchauffement climatique, les mobilisations contre l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) dont M. Hollande ignorait même qu’il dépendait de l’OMC...
L’altermondialisme est né d’une convergence : celle d’associations et d’ONG, issues de la société civile - au sens gramschien et non pas anglo-saxon de l’expression - chacune active dans un domaine bien précis (genre, enfance, droits humains, écologie, développement, actions humanitaires,...) et découvrant progressivement qu’elles se heurtent au même mal : la mondialisation, nom donné à la phase présente du développement du capitalisme caractérisée par une dérégulation et une financiarisation à l’échelle de la planète.
Ces associations et ONG ont constaté que nulle part, ce segment de la vie politique qu’on appelle la gauche n’a été capable d’offrir une réponse à cette mondialisation qui soit conforme aux valeurs de justice et de solidarité. Elles ont même observé que c’est très souvent la gauche qui, au prétexte de l’encadrer, a été le moteur de cette mondialisation : c’est à des socialistes qu’on doit, dans plusieurs pays d’Europe, des législations dites de "déréglementation financière" ; c’est au socialiste Jacques Delors qu’on doit l’Acte unique européen et le traité de Maastricht, véritables chevaux de Troie de la mondialisation ; tous les partis socialistes soutiennent les accords de l’OMC dirigée aujourd’hui par l’un d’entre eux, Pascal Lamy ; l’Europe était gouvernée par une majorité de gouvernements socialistes lorsqu’elle a adopté la stratégie de Lisbonne et les décisions de Barcelone, documents destinés à aller plus loin encore dans la dérégulation, la mise en concurrence et la privatisation ; tous les partis membres du Parti socialiste européen ont soutenu le très néolibéral traité constitutionnel européen et tous soutiennent le principe d’une zone de libre-échange américano-européenne.
Face à cette désertion de l’acteur politique censé, dans le rapport de forces éternel entre les puissants et les autres, protéger les acquis de décennies de luttes politiques et sociales, riposter aux agressions et conquérir ces nouveaux espaces définis par les droits collectifs, face à cette acceptation du capitalisme comme l’ordre naturel des choses, les associations et les ONG, conscientes qu’elles étaient le témoin d’une formidable défaillance politique, et non pas d’un phénomène incontournable, ont proclamé qu’il n’y a pas de fatalité, que cette mondialisation n’est qu’un choix politique auquel on peut lui en opposer d’autres, qu’il y a des alternatives et qu’un autre monde est possible.
La première fois, ce fut en 1998, alors que, dans le plus grand secret, les gouvernements négociaient ce qu’ils avaient l’intention d’appeler "accord multilatéral sur l’investissement" (AMI) dont l’effet aurait été de soumettre la souveraineté des Etats à la discrétion des firmes transnationales. Des rumeurs avaient suscité une inquiétude mondiale. Interrogés alors, des ministres socialistes qui participaient aux négociations se voulaient rassurants. Jusqu’au jour où des fuites ont permis de connaître l’enjeu réel de cette négociation. Ce qui a suscité de telles protestations qu’à moins d’exploser, la toute jeune "gauche plurielle" française a été contrainte de retirer la France de la négociation, mettant de la sorte fin à celle-ci. Mais le même gouvernement Jospin a soutenu la reprise du projet sous une autre forme et dans un autre cadre : à l’OMC, où Pascal Lamy le commissaire européen alors en charge, l’a poussé avec une telle insistance qu’il a provoqué l’échec de la conférence ministérielle de l’OMC à Cancun en 2003, un groupe de 90 Etats s’y opposant résolument. Le combat contre l’AMI en 1998 fut le combat fondateur du mouvement altermondialiste et ce n’est pas un hasard si quelques années plus tard, à Cancun, un lien s’est créé entre de nombreuses ONG et des gouvernements de pays du Sud pour s’opposer à un projet si férocement soutenu par un socialiste.
Certains ont vu des convergences entre le mouvement altermondialiste et les structures politiques animées par les disciples de Lénine, communistes ou trotskystes. Ces convergences sont réelles dans l’analyse du système dominant. Elles disparaissent dès lors qu’il s’agit de définir l’alternative et les instruments de sa mise en oeuvre. L’incapacité de la gauche antilibérale française à offrir une traduction politique à sa victoire du 29 mai 2005 lors du référendum sur le traité constitutionnel européen en a fourni la démonstration. Le projet alternatif égrenait 125 propositions élaborées au prix de concessions majeures sur des questions fondamentales faites à un PCF resté productiviste, partisan du nucléaire civil et militaire et enfermé dans des schémas totalement obsolètes. La priorité donnée par le PCF et la LCR à la préservation de leur appareil sur la possibilité de modifier la donne a fait le reste. A défaut des appareils, les altermondialistes ont tenté de rassembler les personnes autour de la candidature de José Bové. Mais celle-ci fut pénalisée comme les autres par un électorat tout à la fois désireux de sanctionner l’incapacité de la gauche antilibérale à s’unir et de privilégier le vote utile.
En fait, et c’est la leçon du scrutin présidentiel français, ni les socialistes, ni les héritiers de Lénine ne sont des partenaires possibles pour les altermondialistes. J’évoque les appareils, bien entendu. Pas les femmes et les hommes animés par ces idéaux qu’on qualifie de gauche et qui sont depuis tant d’années condamnés à la déception et à l’impuissance, scrutin après scrutin. Parce que les fondamentaux qui rassemblent les altermondialistes sont davantage en prise avec les défis du monde tel qu’il se fait aujourd’hui, parce qu’ils veulent agir ensemble autrement dans l’espace public, les altermondialistes doivent maintenant en tirer les conséquences et s’affirmer comme tels sans plus rien concéder à ces gauches socialistes ou léninistes qui, face à la mondialisation, ont tout raté.
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