dimanche 22 février 2009

En direct de la Guadeloupe


"(...) La "pwofitasyon", ici peut se traduire par "profits abusifs". Dans le langage courant, "pwofitasyon" désigne l'abus de pouvoir qu'un puissant exerce sur quelqu'un dont il sait déjà qu'il est plus faible que lui, pour le rendre encore plus subordonné.

(...) J'appelle ça un mouvement sociétal. Si certains persistent à parler de vie chère...je n'y peux rien. C'est un véritable cahier de Doléances. Il parcourt l'ensemble des domaines de la société.
Rappelons que ces revendications sont au nombre de 146 et que le LKP a défini parmi ces 146, 19 à négocier immédiatement, puis d'autres qui demandent des réponses plus purement politiques voire institutionnelles, qui devront être débattues à long et moyen terme.


(...) Mais alors... Pourquoi ne parle-t-on que de ces foutus 200€ que le LKP demande?
Parce que cela fait partie effectivement des revendications et comme tout le monde s'y attendait, c'est le point qui bloque les négociations. Le LKP ne démord pas. Le patronat ne démord pas. Les positions se radicalisent.

Commentaire personnel : Je trouve ça dommage qu'un si beau mouvement bloque sur un point que je considère comme étant secondaire en terme de portée sociétale sur le futur de la Guadeloupe.


(...) Les guadeloupéens sont asphyxiés et meurent de faim alors?
(...) La Guadeloupe s'organise. L'UPG (Union des Producteurs Guadeloupéens) ainsi que les pêcheurs font partie du LKP. Les poissons ne sont pas en grève :
les pécheurs continuent à pêcher et à vendre leur poisson. Les animaux ne sont pas en grève : les éleveurs continuent à s'en occuper et à vendre leur viande. La terre n'est pas en grève : les cultivateurs continuent à travailler leurs exploitations et vendent leur denrées. Notre réfrigérateur n'a jamais été aussi plein.
Les hyper marchés sont fermés, mais les marchés sont ouverts. Il y a mieux: des marchés populaires sont organisés devant les piquets de grève et un peu partout. Les producteurs y vendent leur denrées aux prix auxquels ils ont l'habitude de vendre aux super-marchés. Conséquence : ils ne perdent pas leur récolte ni leurs revenus, et le porte-feuille du consommateur apprécie puisque les marges exorbitantes de la grande distribution ne sont plus là. Nous n'avons jamais autant consommé local !!
Je n'ai pas de purée mousseline, je n'ai plus de pâtes panzani... et alors? J'ai des tubercules, des légumes, de la viande, du poisson, des fruits frais, des fruits secs, des fruits de mer... Et ça coûte moins cher que d'habitude. En fait, je crois que je n'avais jamais mangé aussi équilibré de ma vie.


(...) Est-ce que la presse nationale fait de la désinformation?
La première semaine, ils n'en parlaient pas. La deuxième semaine, ils n'ont montré que des images de touristes dont les vacances ont été gachées par cette grève (je suis sincèrement désolé pour eux, mais c'est la vie). Ils ont montré des rayons de super-marchés vides et ont semblé vouloir dire que la rupture des stocks créait le plus grand désarroi... Ils ont fustigé une grève qui - dit-on - pénaliserait de manière irrémédiable l'économie Guadeloupéenne.


Xénophobie? Racisme? Les slogans?
"La Gwadloup sé tan-nou, la Gwadloup sé pa ta yo. Yo péké fè sa yo vlé, adan péyi an-nou"
Traduction littérale : " La Guadeloupe est à nous, La Guadeloupe n'est pas à eux. Ils ne feront pas ce qu'ils veulent dans notre pays"
(...)La question qui inquiète certains : Mais qui est ce nous et ce eux? Nous = noirs?
(...)
Pour moi, un Guadeloupéen est quelqu'un qui lit son destin au destin de la Guadeloupe. Il est souvent noir (question de chiffre), mais il est aussi blanc, indien (de nombreux indiens ont débarqué en Guadeloupe après l'abolition de l'esclavage). Il pourrait même être vert pomme que cela ne dérangerait pas les dizaines de milliers de manifestants qui chantent ce slogan.

Surtout, nous ne sommes pas prêts à échanger sous prétexte de la race, une pwofitasyon blanche contre une pwofitasyon noire. Ce Nous-Eux est moral, bien plus que racial.

Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de problème de racisme en Guadeloupe. Il est clair que la société est pyramidale et que plus on monte vers le sommet de la pyramide, plus les peaux sont claires. Les races n'existent pas, c'est une vérité qu'il faut répéter sans cesse... Mais le racisme existe et le poids de l'histoire esclavagiste et coloniale est palpable.


Scolarité en péril?
J'étais à Paris 6 lors de la grève contre le CPE et sur les 12 semaines prévues du semestre, on a pu faire 11 semaines (moyennant le sacrifice des vacances scolaires). Il y a fort à parier que nous ferons la même chose. Tout le monde est prêt à voir disparaitre les vacances de pâques, pentecôte et les jours fériés. D'ailleurs les cours sont mis en ligne par les enseignants dans de nombreux établissements. Et RFO, la télé locale (une branche de france télévision) va bientôt commencer à diffuser des cours faits par des enseignants sur les plateaux de télévision, afin que tout le monde puisse regarder, à chaque niveau, à chaque matière. La petitesse de l'île le permet, nous ne nous priverons pas de ce moyen!


Evolution statutaire?
Peut être. En tous cas la question est posée. Le débat est ranimé. Le mouvement s'exprime sous forme de grève mais la densité du cahier de revendications montre clairement que tous les fondements de la société sont remis en question.
(...)Les pistes avancées sont plutôt celles d'une évolution statutaire dans le cadre de la République française (genre article 73 et 74 de la constitution)vers plus de pouvoir décisionnel local, plus de pouvoir législatif et douanier, afin de répondre à la réalité géopolitique (nous sommes européens, mais nos îles baignent dans le bassin caraïbéen!)


Le mouvement a une dimension internationale. Hier, c'est le révérend Jessy Jackson en personne qui a envoyé son soutien au peuple de Guadeloupe et au LKP. Les organisations syndicales du monde entier (je n'exagère pas) rentrent en contact avec le LKP pour lui demander comment il arrive à mobiliser 100 000 personnes, sans un débordement (c'est le service d'ordre du LKP qui organise la sécurité générale).

La Guadeloupe vient de connaitre ses 27 jours les plus calmes niveau violences domestiques. Jamais il n'y a eu si peu d'agressions et de faits divers. 0u d'accidents de voitures (pas d'essence, tout le monde roule à 70 km/h)."


- Quelques exemples de "pwofitasyon" dénoncés par le LKP :

-L'essence que payait les guadeloupeéns était l'une des plus chère au monde.
Il y a une crise internationale qui a fait exploser le cours du pétrole, certes, mais cela n'explique absolument pas le cours des prix en Guadeloupe (dans les DOM de manière générale). Aujourd'hui qu'un début lumière commence à être fait sur la question, plus personne ne le conteste.

-Le LKP a présenté à l'état son expertise des méthodes de fixation des prix, résultat: tout le monde est d'accord sur le constat qui consiste à dire que les prix sont anormaux (même ceux qui sont contre la grève générale comme forme choisie pour le dénoncer) . Le secrétaire d'état aux DOM, monsieur Yves Jego envisage même une action en justice de l'Etat contre la SARA (Société Anonyme de Raffinage Antillaise) dont l'actionnaire principal (70%) est TOTAL. Vous m'accorderez sans doute que ce ne sont pas des nécessiteux. Et Jego (lui même), a dit que si après enquête, il est démontré que la SARA a perçu des sommes indues (ce sera probablement le cas), cette somme devra être remise aux guadeloupéens sous la forme d'un fond pour la formation professionnelle.

N.B: La SARA est en situation de monopole en Guadeloupe, pas de concurrence.
C'est elle qui distribue l'essence.

-Quant aux prix de la grande distribution... une des pistes est de créer "un panier de la ménagère" constitué d'environ 100 produits sur lesquels la grande distributions n'aurait plus le droit de dépasser les prix de l'hexagone de plus de 10%, avec la création d'un organe bi-mensuel de contrôle des prix
pour éviter de nouvelles dérives.

N.B: Les géants de la distribution sont en situation de quasi monopole. Il s'agit principalement du groupe Hayot (Bernard Hayot est dans le top 120 des fortunes françaises). En plus ils détiennent l'importation et ont le monopole de la distribution sur plusieurs grandes marques. Pour accentuer le problème, les quelques concurrents existants sont des groupes amis (cousins, alliancés...) puisque ce circuit est aux mains d'une ethno-classe compacte et réduite(**).


(**) voir reportage assez édifiant de canal + "Les derniers maitres de la Martinique" voici un lien ou on peut voir l'émission :
http://www.megavideo.com/?v=1Q1M01NV

Sadi S

Extraits du témoignage reçu par courriel d'un étudiant guadeloupéen. Probablement rédigé aux alentours du 15 février (avant la mort par balles d'un syndicaliste).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

______________________________________________

archives du blog