vendredi 13 mars 2009

Nous sommes toujours en pleine crise alimentaire









par Stéphane Desgain

Il est possible de prendre des décisions politiques permettant de rompre avec un système qui produit en alternance des crises alimentaires dans les campagnes puis dans les villes et ainsi de suite.

Après des décennies de prix de produits alimentaires dépréciés, ne permettant pas à la majorité de producteurs de vivre dignement de leur travail, le contexte semble avoir radicalement changé. En avril 2008, les prix mondiaux des produits agricoles ont augmenté en moyenne de 54% en douze mois. Certains produits, comme les céréales et l’huile végétale ont respectivement augmenté de 94% et 98%, avec des niveaux record de prix depuis plus de dix ans. Depuis quelques mois, les prix de nombreux produits agricoles ont chuté, confirmant les craintes des ONG, des organisations de consommateurs, d’environnementalistes et des organisations de producteurs de voir les marchés agricoles être encore plus volatils.

On comprend que ces hausses brutales aient jeté dans la rue des populations déjà pauvres qui consacrent 60 à 80% de leur budget à l’alimentation. On s’interroge sur l’absence de réaction quand le phénomène inverse jette d’année en année plus de 50 millions de paysans dans la misère ? Sans doute parce que les journalistes vivent en ville et pas en milieu rural.

Il est plus inquiétant encore de se rendre compte que peu de gouvernement ont pris la mesure des menaces qui pèsent, non plus sur 850 millions de personnes, mais aujourd’hui sur près d’un milliard d’individus souffrant de la faim. Nous tournons collectivement le dos au projet minimaliste des Nations Unies de réduire la faim en 2015... de moitié ! Les émeutes de la Faim ont frappé plus de 40 pays. Peu de responsables politiques européens ont compris qu’il ne s’agit plus de faire baisser les prix à tous prix mais plutôt de s’attaquer aux causes qui ont amenés ces pays à être à ce point dépendant d’autres pour leur alimentation de base. En 2007, les coûts des importations alimentaires des pays en développement ont augmenté de 33 %.

Se poser cette question c’est enfin questionner le projet agricole qui permettrait de garder des paysannes et paysans motivés, qui auraient un avenir dans cette activité et bénéficieraient de prix agricoles qui leur permettraient de vivre décemment. Ces prix doivent, on l’oublie trop souvent, permettre d’investir dans les pratiques agricoles qui augmentent le productivité en préservant l’environnement et la biodiversité.

Les raisons de la crise alimentaires de 2008 sont nombreuses mais elles ne peuvent nous exonérer de faire le travail de hiérarchisation. Quelles en sont les raisons premières et quelles sont celles qui découlent de causes plus fondamentales ?

Il est vrai que la crise alimentaire découle d’une hausse de la demande avec l’augmentation et les changements des habitudes alimentaires dans les pays émergents, l’urbanisation croissante, la demande d’agrocarburants. Il est également vrai qu’elle découle aussi de l’augmentation des coûts de production elle-même liée au prix du pétrole, des effets des changements climatique avec la sécheresse qui frappé l’Australie et d’autres régions du monde mais aussi du rôle criminel joué par les traders spéculant sur les variations de prix des produits agricoles.

Mais il serait heureux de mettre en haut de la liste trois éléments fondamentaux. La dérégulation et la mise en concurrence des agricultures du monde entier aux travers des règles du commerce mondiale et les accords bilatéraux et bi régionnaux (UE ACP, UE / Mercosur). Cette politique limite chaque jour les possibilités des pays de protéger leurs agricultures. Pour de nombreux pays pas de protection signifie plus d’agriculture.

Deuxièmement, l’abandon de vrais politiques agricoles qui maintiennent des prix agricoles rémunérateurs et stables pour les producteurs. Ces politiques gèrent l’offre et organisent les quantités produites, importées et maintiennent de stocks suffisants. Elles sont indispensables.

Enfin, le troisième élément est l’absence de soutiens financiers assumés à une politique agricole qui est orientée vers une agriculture familiale, paysanne durable, celle qui maintient l’emploi rural. Ces soutiens ne seraient plus destinés à compenser des prix trop bas puisque la régulation maintiendrait les prix à des niveaux couvrant tous les coûts de production. Les soutiens financiers seraient destinés aux réformes agraires, à la formation, à l’amélioration des pratiques agricoles qui respecte les cycles naturels, à l’irrigation, à la recherche publique empêchant la main mise du privé et le brevetage, à la transformation et la conservation, à la réorganisation de l’agriculture afin de la rendre indépendante du pétrole.

Ce troisième élément est compliqué pour les pays les plus pauvres. Il s’agit de garder à l’esprit que les rapports Nord-Sud sont toujours aussi inégaux. Il faut donc, en même temps cesser les pillages des ressources naturelles, stopper les pressions visant à démanteler les politiques agricoles, augmenter rapidement l’aide publique destinée à l’agriculture. Entre 1987 et 2005, l’aide à l’agriculture destiné aux pays du Sud est passée de 11,5 à 3,9 milliards de dollars par an alors qu’il faudrait de 25 à 40 milliards de dollars supplémentaires. Les organisations paysannes doivent être au centre des choix prioritaires et du contrôle de l’utilisations de ces fonds.

Avec des politiques agricoles fortes on traite le problème de la dépendance, coupant sous le pied l’impact de l’augmentation des prix internationaux. L’exemple du Mexique est éclairant. Si ce pays n’avait pas laissé les règles du libre échange détruire son agriculture, il n’aurait pas subi le changement d’affectation du maïs des Etats-Unis qui se découvrent un engouement pour l’éthanol. Si l’on avait maintenu partout sur terre des stocks publics de céréales suffisants, les traders n’aurais pas pu spéculer sur une pénurie…

Reste plusieurs problèmes : celui d’un mode d’alimentation basé sur une surconsommation de viande et de poisson d’une minorité. Il n’est pas possible d’étendre ce mode d’alimentation à l’ensemble des populations. Les pays riches doivent changer en premier puisqu’ils sont malheureusement ceux qui influencent l’imaginaire collectif de la plupart des pays.

Même si l’on relocalise la production et que l’agriculture est prioritairement orientée vers les marché locaux, il restera une part de l’agriculture destiné à l’exportation. Pensons aux produits comme le café le cacao, le thé, … Les politiques agricoles nationales et régionales ne peuvent réguler ces productions pour éviter que les pays producteurs ne subissent de forte chute de prix et les pays importateurs des ruptures d’approvisionnement. Il est urgent alors de négocier, produit par produit, des accords internationaux régulant les quantités échangées, de manière à limiter la volatilité des marchés et à garantir des prix rémunérateurs. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) est décrédibilisé ? Qu’elle commence par cette régulation en abandonnant son dogme de la régulation par le marché. Mais en est-elle capable ?

Sortir d’un modèle productiviste, basé sur la monoculture, les engrais et d’autres intrants issus du pétrole, nécessite des besoins financiers pour aider les agriculteurs endettés à sortir de ce modèle et à se reconvertir. Il faudra expliquer aux autres citoyens la nécessité d’aide publique puisqu’il y a une responsabilité collective dans cette mauvaise orientation.

Le dernier problème en date est particulièrement inquiétant puisqu’il s’agit de l’accaparement des terres fertiles des pays pauvres par des fonds d’investissement ou d’autres gouvernements. De nombreux gouvernements disposant d’importants moyens financiers provenant du pétrole ou de balance commerciale excédentaire s’emparent de terres fertiles dans le monde entier. Ces pays sont en fait préoccupés par l’insécurité alimentaire parce qu’ils comptent sur des importations pour nourrir leurs populations. Ils comptent externaliser leur propre production alimentaire pour échapper aux prix élevés du marché. Ce choix est clairement anti-social puisque ces accaparements de terre se font dans des pays où sévit la faim et contourne la vraie question de l’analyse des moyens d’améliorer l’agriculture locale.

Plus grave une part importante des accaparement de terres sont le fait de fonds d’investissement qui recherche une rentabilité. L’agriculture, une fois de plus, n’a plus vocation de nourrir mais d’engraisser des actionnaires. Ces sociétés d’investissement, achètent de terres agricoles dans le but de tirer profit de la réduction des coûts fonciers et de l’augmentation des prix alimentaires partout où des terres agricoles fertiles sont disponibles. Parmi les accapareurs figurent des noms bien connus, comme ceux de Goldman Sachs, Morgan Stanley, BlackRock …

Cette constatation n’exclut pas l’utilité d’échanges sur certains produits et entre les pays bénéficiant d’une grande quantité de terres fertiles avec ceux en léger déficit. Mais le choix de laisser faire les plus puissants, ceux qui ont les moyens d’acheter les meilleurs terres est l’exacte contraire du principe de démocratie et d’un projet collectif inscrit dans une politique agricole. Si nous laisser faire, nous allons droit vers une contre réforme agraire, mais au niveau mondial.

source: blog "Food crisis & the global land grab" de L’ONG Grain (pour Genetic Resources Action International), basée à Barcelone, qui a ainsi mis en place une veille mondiale quotidienne recensant les articles de presse publiés sur ce sujet.

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